mercredi 20 avril 2011

Livres de toilettes

Certains livres se lisent au lit, d'autres lorsque l'on est confortablement assis dans un fauteuil, d'autres nécessitent que l'on soit studieusement installé à une table de bibliothèque. Certains ne craignent pas d'être parcourus dans de rapides transports publics, d'autres seront dévorés le temps d'un voyage en train. Il en est, enfin qui se lisent aux toilettes.
La qualité de ces différents ouvrages ne se mesure pas à l'aune des lieux où ils sont saisis par le lecteur. La noblesse de tel titre ne sera pas d'ailleurs pas entachée du manque de prestige dont souffrent généralement les ouatères, au contraire, les livres qui nous accompagnent en ces lieux d'aisance nous sont souvent les plus chers, et bénéficient de toute notre affection.
Ce n'est ni le nom ou le renom de l'auteur, ni la critique assassine du bouquin entendue au « Masque et la plume », qui pourraient par une analogie aussi triviale que scatologique le faire emporter au plus près de nos déjections personnelles, mais le format de la chose écrite – ou dessinée – qui décide de son emploi.
Intimité, espace restreint, durée limitée, voici les impératifs imposés par l'endroit, j'allais en omettre un : le plaisir que procurera la lecture du livre de toilettes, car il n'est pas question de s'y... emmerder.
On ne s'embarrassera pas d'un atlas, trop encombrant, qui contient le vaste monde au creux de ses pages, ni de grande littérature qui s'absorbe au long cours. On n'emportera pas Marguerite Duras ou Christine Angot, craignant l'omniprésence de ce gigantesque « je » qui n'est pas le nôtre, car on aime la solitude dans les circonstances qui nous mènent en ce petit coin, et je le répète, pas question de s'y faire... Il est des redondances insoutenables.
En revanche, des compilations de chroniques, Desproges, Laborde ou Vialatte ; de pensées et d'aphorismes, Jean Yanne ou Cioran ; ou encore certains autres ouvrages comme les Dictionnaire de la Bêtise de Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière, Trésor des méchancetés de Jean-Manuel Traimond, Dictionnaire du parfait cynique de Roland Jacquard accompagnent plaisamment cette activité répétitive dont, il faut bien le reconnaître, on se lasse à la longue et à laquelle on ne trouve plus trop d'agrément depuis l'âge de quatre ans si ce n'est de satisfaire la grande nécessité. La langue nous fournit la locution idoine qu'il convient d'inverser : joindre l'agréable à l'utile.
Le principal avantage du lieu est que l'on s'y retrouve généralement seul et que l'on peut rire sans se justifier et sans crainte.
De cette littérature de toilettes, ô combien bénéfique pour notre moral, ajoutons Les moustiques n'aiment pas les applaudissements, dont l'auteur, si l'on en croit la couverture se nomme Auguste Derrière (né un 29 février 1892, ce qui lui fait au choix 119 ans ou presque 30).
En réalité, dans le dos d'Auguste Derrière se cachent Philippe Poirier, Vincent Falgueyret et Nadia Geyre de l'agence de graphisme la Maison PoaPlume à Bordeaux.
Grâce à ce petit livre, vous étonnerez vos proches, qui l'oreille collée à la porte se demanderont bien ce qui se passe là-dedans en vous entendant vous esclaffer. Il contient tout le génie français, l'humour fin mis au service de la profondeur de la pensée, comme dans cet aphorisme : « L'intelligence artificielle n'a aucune chance face à la stupidité naturelle ».



Vos zygomatiques travailleront à la lecture de ces vieilles réclames détournées, du non-sens, de l'absurde, des jeux de mots rappelant l'Os à Moelle ou l'almanach Vermot, en somme, de ces somptueuses sottises qui font de la peine aux esprits chagrins.
Le non-sens est souvent plein de bon sens : « qui vole un œuf a une petite omelette »... « Qui vole un bœuf est vachement costaud », et rit de nos travers comme cette publicité pour Marcel Botanski, bottier agréé de la reine Carla : « Une offre exceptionnelle à ne pas négliger, pour l'achat de la paire : la troisième botte gratuite ».






Certes, si vous manquez d'humour, procurez-vous en au plus tôt ou laissez tomber ce cirque de maximes et de dictons au naturel. Tant pis pour vous, vous ne commencerez pas votre journée le sourire aux lèvres et votre œil restera aussi terne qu'un camion. Ce curieux petit livre ne sied pas aux constipés ! Dans le cas contraire, faites vôtre cette sentence :
Ne pose pas ton Auguste Derrière lorsque tu poses ton auguste derrière.

Les moustiques n'aiment pas les applaudissements, par Auguste Derrière, Le Castor astral, 2009, 12,90 euros.


• Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement, par Guy Bechtel, Jean-Claude Carrière, Ed. Robert Laffont, 1965.
• Le Trésor des méchancetés, anthologie d'humour à l'usage des anarchistes, par Jean-Manuel Traimond, Atelier de création libertaire, 1998.
Dictionnaire du parfait cynique, par Roland Jaccard, Hachette, 1982.

Le blog d'Auguste Derrière